Une ville sur l’eau qui s’ignore

Petite France à Strasbourg. Photo CC BY-SA Andreas Trepte, www.photo-natur.net
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La vieille ville est encerclé, le nouveau quartier Malraux/Danube/Rivétoile a les pieds dedans, c’est aussi la frontière naturelle avec Kehl… De quoi parle t’on donc ? C’est une évidence : l’eau. Évident, évident… Pas tant que ça. Malgré sa proximité avec fleuve et rivière, Strasbourg ne met pas spécialement en avant ce lien. Pourtant, cela pourrait être un bel atout…

France Bleu s’en inquiétait en 2015, peu de lieux dignes de ce nom pour les amateurs de promenade sur l’eau. A la mairie, on botte en touche. Un projet de Marina est prévu depuis des lustres dans le cadre de l’axe Deux-Rives. Mais cela fait plusieurs années que rien ne progresse, pas de date, ni de lieu précis au final. Il faudra patienter à l’actuelle marina dite « Koejac » mais pas forcément à la hauteur en termes d’équipement. Et les plaisanciers auraient tort de s’attarder ici puisque de l’autre côté du Rhin, ils sont accueillis comme il le faut.

Aux débuts de Rivétoile et avec la création de la médiathèque Malraux, on entendait parler d’un rapprochement de ce nouveau lieu de vie avec l’eau. Plusieurs projets ont été évoqués plus ou moins sérieusement, du plus ambitieux : réhaussement du niveau de l’eau entre l’UGC et les Docks Malraux avec création d’un jardin flottant, au plus irréaliste : creuser pour faire de la Médiathèque et des Docks une presqu’île. Quelques années plus tard, le bras est toujours stagnant mais accueille désormais un ponton rabaissé pour permettre aux passants de divaguer avec en été, une forte odeur de vase. Le tout avec un aménagement minimaliste : une œuvre d’art et des bancs. Verdure ? Niet.Pourtant, un peu plus loin, la municipalité a montré qu’elle savait faire preuve d’audace. Le parc du Heyritz : un petit poumon collé à l’eau et réaménagé. Passerelle pour marcher au niveau de l’eau, escaliers verts permettant de se relaxer au bord de l’eau, plantes flottantes pour adoucir un potentiel côté marécageux… Bref, un projet pas forcément très ambitieux mais globalement réussi.

Des touristes qui ne demandent qu’à débarquer à Strasbourg

Face à Starlette, la place est suffisante pour accueillir des bateaux de croisière.
Face à Starlette, la place est suffisante pour accueillir des bateaux de croisière. CC BY-SA Kevin BENOIT

Et côté tourisme fluvial, comment ça se passe direz-vous ? En 2014, on comptait 28 600 bateaux traversant les écluses du réseau Alsacien de VNF – ndlr : Voies navigables de France. En parallèle, durant la même année, le port autonome de Strasbourg a compté près de 150 000 passagers sur les différents navires de croisières sur le Rhin. On peut ajouter à cela les 780 000 passagers du trafic très local de Batorama. Des chiffres qui sont évidemment bien loin des fréquentations d’autres moyens de transport mais pour autant, doit-on négliger ce potentiel ?

Du côté de Starlette, un projet de véritable gare fluvial était évoqué il y a encore quelques mois avec un hôtel, le tout aux alentours de Starlette mais pas de nouvelles à ce jour. Pour autant, il semble que ce projet ne soit pas disparu pour autant. Le but serait de pouvoir accueillir les nombreux passagers des « paquebots fluviaux » dans des conditions dignes d’une capitale européenne – ou même des conditions dignes tout court vu la situation actuelle. Rien n’a encore été fait sur cette pointe face au parc de la Citadelle, saisissons l’occasion avant qu’il ne soit trop tard. Aujourd’hui, les bateaux de croisière débarquent leur horde de touristes sur le Quai des Belges, avec des dizaines d’autocars stationnées le long du quai, prêts à transporter ces touristes avides de découvertes dans Strasbourg et ses environs.

Si vous vous promenez le long de ce quai, vous apercevrez notamment des paquebots Viking River Cruise, Uniworld ou encore Avalon, les leaders en Europe. Et pour cause. Un dossier de la Direction Générale des Entreprises classe Strasbourg comme une des principales destinations du tourisme fluvial français – de par son emplacement géographique. Ce même dossier mentionne jusqu’à 80 bateaux passant par la capitale Alsacienne au mois d’août 2014. En regardant uniquement la flotte de CroisiEurope – croisiériste parmi les leaders européens et basé à Strasbourg, on peut compter jusqu’à plus de 80 cabines doubles par bateau.

En outre, un aspect à ne pas négliger pour une ville est le côté financier. Toujours dans ce rapport de la DGE, on apprends que les plaisanciers dépensent 66 millions d’euros par an en France (hors dépenses spécifiques au bateau). Un somme considérable quand on sait qu’elle se reparti en à peine quelques milliers de personnes. Raison de plus pour les accueillir convenablement. Kehl en accueille dans le jardin des Deux Rives, un cadre plutôt attractif. On peut rêver à les voir transiter jusqu’à l’hyper-centre… En bateau !

Tourisme uniquement ? Pas que.

Jouissant d’une position géographique idéal, le Port autonome de Strasbourg ne cesse de se développer. 7,5 millions de tonnes ont transité par le port en 2015, en faisant le deuxième port (fluvial) de France, une place de prestige. Certains rêvent toujours de voir des livraisons de l’hyper centre effectuées par les eaux, un peu comme le tram Fret tant évoqué. Pas totalement saugrenue comme idée mais peu envisageable à court terme. Dans tous les cas, VNF et Batorama arguent que les écluses sont saturées… par Batorama.

Canaux de Copenhague
Canaux de Copenhague CC BY-SA Kevin BENOIT

Outre le Fret, avec le développement du logement vers le quartier Danube et plus globalement, les Deux Rives, on peut rêver à voir un développement de la ville sur l’eau, au sens propre du terme. Pourquoi pas comme à Amsterdam – souvent cité comme modèle dans ce domaine, des maisons en partie sur l’eau : pilotis, embarcadères, etc. Laissons les Strasbourgeois s’approprier l’eau. A l’image du vélo, pourquoi ne pas laisser les habitants de ces nouveaux quartiers prendre possession des rives. Faire une promenade au centre-ville, les courses ou autre, à bord d’une petite embarcation à moteur… Utopique ? Là non plus, pas tellement. Mais encore une fois, il faudrait autoriser plus de mouvements à travers les canaux de l’Ill. Batorama est un formidable outil touristique mais en quoi un usage exclusif des cours d’eau de l’hypercentre est-il justifié ? Outre Amsterdam, un exemple illustré ci-contre : Copenhague. Les canaux sont utilisés par tout un chacun et les vedettes touristiques se frayent un passage à travers les autres usagers fluviaux. Que Strasbourg « libère » l’Ill au centre-ville et construise son nouvel axe urbain autour de cette fusion terre-eau, pas si bête pour une ville qui se veut à l’avant-garde de la mobilité durable en France – car ne nous faisons pas d’illusion, il n’y a bien qu’en France que Strasbourg « impressionne », et encore ! Pour cela, il faudrait que les constructions de cette axe montrent un peu d’ambition, ce qui ne semble pour l’instant pas le cas quand on voit les cubes copiés/collés les uns des autres dans le quartier du Danube notamment.

 

La tendance à s’approprier l’eau est plutôt visible dans les villes maritimes. Les villes fluviales oublient que leur lien avec l’eau peut aussi se développer sans qu’il n’y ai une quelconque plage de sable. Tout est à faire dans ce domaine. Avec le tourisme fluvial qui se développe toujours, l’axe des Deux Rives qui reste à être dessiner, les quais de l’hyper-centre remodelées, etc, Strasbourg a toutes les clés en main pour devenir une ville pionnière dans ce domaine et donner un cadre de vie plus « humide » à ses habitants. A moindre échelle, d’autres communes d’Alsace peuvent aussi redessiner ce lien avec l’eau.