20 ans de tramway à Strasbourg… Et après ?

Lancement des travaux du tram D vers Kehl CC BY-SA Claude TRUONG-NGOC
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Déjà 20 ans… Tout commença avec la petite ligne A. Aujourd’hui, le réseau compte plus de 40 kilomètres où circulent 94 rames de tramway, dont les premières rames soufflent aussi leurs 20 bougies. D’ici 2016, des nouvelles rames viendront renforcer le parc pour permettre au réseau de continuer son développement. Et ce développement d’ailleurs, qu’en est-il ?

Dossiers en cours

BHNS de la ligne G CC BY-SA Claude TRUONG-NGOC
BHNS de la ligne G CC BY-SA Claude TRUONG-NGOC

Actuellement, deux chantiers sont en cours. Le premier chantier est deux en un : les extensions des lignes A et E au Sud de l’agglomération, pour desservir le cœur d’Illkirch, ou plus précisément, pour permettre à la ligne A de desservir l’hypercentre de la ville tandis que la ligne E arrêtera sa course au Campus d’Illkirch. L’extension de la ligne E n’a pas donné lieu à débat, il s’agissait d’une forte demande des étudiants, stopper la ligne à Baggersee impliquait une importante surcharge de la ligne A en heures de pointe. L’extension de la ligne A quant à elle a été vivement débattu. La plupart des riverains n’en voulaient tout simplement pas, certains ont contesté le tracé choisi car desservant moins de population que les autres options et mettant la ligne A dans un cul de sac, enfin les habitants de Koenigshoffen ou de certaines communes de l’Eurométropole – futur ex-CUS, ont raillé la priorité donnée à cette ligne au détriment d’autres projets.

Ensuite, la fameuse extension transfrontalière de la ligne D vers Kehl, symbole de l’Eurodistrict destiné aussi à desservir toute la zone des Deux Rives en voie d’urbanisation. Si le projet en lui-même faisait apparaitre une timide unanimité politique, nos politiciens sont parvenus à s’entretuer sur le tracé qui varia au fil de l’avancée du projet : longeant tout d’abord la route du Rhin, la municipalité décida finalement de le dévier pour mieux desservir le futur quartier. De l’autre côté du Rhin, on est emballé par ce projet qui fera de Kehl une ville entièrement connectée à Strasbourg. Initialement, la ligne devait stopper sa course devant la gare de Kehl, mais la municipalité allemande décida de précipiter les choses et d’enchainer avec l’extension jusqu’à la mairie. Ainsi, la ligne ne fera pas qu’un franchissement symbolique du Rhin mais desservira le cœur piétonnier et commerçant de la ville.

Reste le dossier de l’extension de la ligne E vers la Robertsau qui devrait – normalement, passer en enquête publique d’ici l’année prochaine. Un petit dossier, le but étant de donner une réelle utilité à la branche Robertsau, ligne pour le moment encore symbolique puisque ne desservant pas grand chose à part les institutions européennes.

Le projet le plus attendu lui, reste aux abonnés absents : le tram vers Koenigshoffen. Ce quartier reste un des plus importants de Strasbourg et ne dispose d’aucune desserte lourde, seule la ligne 4 tente de combler cette lacune mais sans site propre, c’est une tâche bien difficile vu la circulation de la route des Romains. Pourtant il y a encore quelques mois on parlait d’un chantier pour 2015 et une mise en service à l’horizon 2017… En tramway sur pneus. De nombreuses associations se sont opposées à ce dossier, notamment TC-Alsace. La combinaison du choix d’un mode à part, incompatible avec le réseau existant, d’un tracé inadapté et trop long (la ligne devait relier Wolfisheim à Vendenheim via la gare de Strasbourg) poussait à un rejet du projet. La municipalité a finalement écouté la grogne.  Le revers de la médaille, c’est que le projet a été repoussé aux calendes grecques. Le président de la CUS a entre temps annoncé que des choix devraient être opéré pour les prochains grands projets, les caisses étant vides. D’ores et déjà, on sait que la section vers Vendenheim ne verra probablement pas le jour en tramway mais plutôt en BHNS et dans un délai inconnu. Reste que la ligne jusqu’à Koenigshoffen devrait tout de même voir le jour, la question du calendrier reste encore à préciser puisqu’aucun détail n’a été révélé depuis des mois. Une manière peut-être de « punir » les habitants du quartier qui n’ont pas docilement accepté le projet de tramway sur pneus… ?

Quel avenir ?

Plan du réseau en 2008 avec extensions envisagées CC BY-SA Maximilian Dörrbecker
Plan du réseau en 2008 avec extensions envisagées CC BY-SA Maximilian Dörrbecker

Après tout cela, quel avenir pour le réseau ? On sait d’ores et déjà que le projet tram-train d’il y a quelques années ne verra probablement pas le jour. Si l’interconnexion tramway-train était intéressante, le projet présentait des failles : le couteux tunnel sous la gare ou encore le passage par Homme de Fer déjà bien saturé. A côté de cela, il est fort probable que le Schéma Directeur des Transports en Commun (SDTC) 2025 tel qu’établi en 2010 ne verra pas le jour dans sa totalité, la crise s’étant prolongée et les politiciens ayant succombé aux sirènes du BHNS. D’ailleurs, le BHNS, qu’en est-il ? La fameuse ligne G a vu le jour il y a maintenant un an et le succès est bien au rendez-vous pour un investissement mineur comparativement à un tramway. Pour autant, le BHNS n’a pas sa place partout. En reprenant l’exemple de Koenigshoffen, vu le potentiel de la future ligne et la forte fréquentation actuelle de la ligne 4, seul un tramway est capable de répondre à la demande. Par contre, pour une ligne circulaire en périphérie de la métropole, le BHNS est parfaitement adapté. Certaines extensions referont surement surface d’ici quelques années : notamment la ligne F vers le Port du Rhin, pour rejoindre la ligne D lorsque l’urbanisation du secteur sera avancée voire achevée. Lorsque la nouvelle ligne vers Koenigshoffen verra le jour, il est fort probable qu’une extension vers Eckbolsheim/Wolfisheim voit le jour. La ligne C sera peut-être amené à se développer au Sud vers la Meinau ou plus loin dans le Neuhof. La réflexion peut être poussée plus loin encore avec l’utilisation de l’étoile ferroviaire de la communauté urbaine, la desserte de certaines gares périphériques est envisageable – à long terme encore une fois, notamment la gare de Graffenstaden via la ligne A ou encore la future gare du Port du Rhin. Présentée lors des premières réunions sur l’extension de la ligne D vers Kehl mais difficilement réalisable actuellement, le potentiel étant actuellement faible et l’autorité organisatrice du TER, la région qui n’a pas particulièrement envie de réaliser ce projet.

L’avenir du réseau, c’est le maillage. La municipalité vante les mérites du premier réseau maillé de France, pour autant on est loin d’un véritable maillage comme un réseau Allemand ou Suisse. Pour aller au bout de cette définition, il faudra créer des mailles dans l’hypercentre, permettant d’offrir une desserte plus fine, d’éviter l’ellipse insulaire et le pôle Homme de Fer surchargé mais aussi de faire des déviations sur le réseau en cas de perturbations ou de travaux. A l’occasion des 20 ans du tram, le débat est timidement réapparu avec Catherine Trautmann et Alain Fontanel qui estiment indispensable de mailler le réseau mais pas forcément en tramway, plutôt en BHNS. Quant au directeur de la CTS,  Jean-Philippe Lally, il estime qu’une ligne circulaire serait une aberration économique. Si les considérations économiques sont effectivement à prendre en compte puisque ce type de projet est financé par des fonds publics, il ne faut pas oublier l’aspect exploitation. Comme mentionné auparavant, un maillage permet à l’exploitant de faire circuler son réseau peu importe les conditions. Cela reste un concept étranger aux réseaux français, la plupart des réseaux maillés étant anciens tandis que les réseaux français datent pour la plupart des deux dernières décennies. Prague reste un exemple en la matière, un des plus grands réseaux d’Europe. Près d’une trentaine de lignes la journée et un peu moins d’une dizaine la nuit, réutilisant plusieurs tronçons des principales lignes de jour. L’exemple est difficilement transposable à Strasbourg, le réseau de la capitale tchèque comptant plus de 550 kilomètres de longueur commerciale contre 60 pour le réseau CTS. Toutefois, il sert d’exemple pour illustrer les possibilités offertes par un réseau maillé. Dans le même registre mais à une échelle plus petite, le réseau de Bâle applique les mêmes principes.

Le succès du tramway de Strasbourg a dépassé les espérances depuis sa création, l’interconnexion des différentes lignes rendant la vie facile pour les usagers mais bien difficile pour l’exploitant. Homme de fer, principal point de correspondance est devenu au fil du temps l’enfer du réseau, les lignes B-C-F croisant les lignes A et D au même niveau. Une solution serait la mise en souterrains d’une partie des lignes en hypercentre à l’exemple de Karlsruhe mais cette solution est extrêmement couteuse et risque de rencontrer les mêmes difficultés techniques que la réalisation du tunnel sous la gare de par la proximité de la nappe phréatique à Strasbourg. Tout cela n’est pas insurmontable mais le temps n’est pas à de telles dépenses pour la métropole.  L’autre solution est la déviation de certaines lignes, une ceinture  en tramway autour de la presqu’île pourrait s’avérer une des solutions les plus aisées et moins couteuses, un peu à l’exemple de la ligne 10 qui présente toutefois quelques défauts : fréquence faible, tracé peu adapté, pas de site propre…

20 ans au final, c’est bien peu pour ce type d’infrastructure. Comme indiqué auparavant, le BHNS est une alternative crédible et intéressante mais il ne faut pas négliger que le tramway a encore du potentiel dans la capitale alsacienne. Si le coût moyen du kilomètre effraye les politiciens et les contribuables, il n’y a qu’à regarder les méthodes étrangères pour baisser les coûts ou bien prendre exemple sur Besançon et son nouveau tramway affiché comme « le moins coûteux », peut-être un peu prétentieux mais très intéressant.