Malraux, un pôle d’avenir

Rivetoile en construction - CC BY-SA Jonathan M
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Après un processus de plus de deux ans, un nouveau pan de la presqu’île Malraux a désormais un visage. Un résultat attendu puisque les Strasbourgeois sentent bien que pour la première fois depuis des décennies, le cœur de la ville pourrait potentiellement se dédoubler.

Une chance urbaine que même les Prussiens ne sont pas parvenus à saisir lorsqu’ils ont érigé la Neustadt. Ils ont crée un quartier monumental et disproportionné mais sans réussir à y introduire de la vie : elle ne compte aucun pôle animé véritablement comparable à la Grande-Ile, cœur de ville incontestable et unique.

La libération de l’ancienne zone portuaire est une nouvelle chance pour Strasbourg. Un cadre avec un important rapport à l’eau, une localisation centrale, et plus de contrainte historique : la cathédrale, son quartier de la Renaissance et du XVIIIe siècle sont hors de portée visuelle. L’architecture contemporaine peut ici s’illustrer librement sur un ensemble. Et aujourd’hui, l’approche de l’architecture est moins radicale qu’à l’époque des disciples de Le Corbusier. Fini, le temps de l’architecture standardisée (Hautepierre, Neuhof, Esplanade), aujourd’hui l’approche est plus humaine. Des villes comme Copenhague, Hambourg, Düsseldorf, ou Lyon, mettent en exergue cette architecture contemporaine plus humaine. Les formes et les matériaux y sont variés, le paysage urbain est animé et s’appuie aussi sur une révolution énergétique.

Mais à Strasbourg, cette ville nouvelle tarde à émerger. Le conservatoire de musique, l’UGC Ciné Cité, Rivétoile, la Médiathèque Malraux attirent déjà l’attention des Strasbourgeois. Un embryon de pôle urbain naît, mais son inertie est encore limitée. Et son devenir augmente le nombre d’habitants sans tisser de la vie urbaine pour autant. Une approche qui semble un peu trop dominée par les seuls promoteurs, sans pression politique suffisante. Les promoteurs ont le champ libre, la ville nouvelle devient une future cité-dortoir sans âme. Là où les villes voisines et concurrentes, savent créer des quartiers aux formes audacieuses et attirantes, sans extravagance, à Strasbourg, on s’ennuie. Cette nouvelle ville reste banale. Les architectes, promoteurs et politiques se réfugient derrière l’intemporalité, mais le potentiel de ce bout de ville ne doit pas être gâché par ce faux argument. Car oui, c’est un faux argument. L’argument principal étant évidemment de réduire les coûts pour les promoteurs, alors que le prix de vente du mètre carré a explosé : il y a moins de 10 ans un mètre carré était vendu à 3200€ à Rivétoile ; aujourd’hui, les Docks Malraux et la suite des opérations du secteur sont proposées à 4500€ du mètre carré. Si on ne peut nier que la crise touche aussi le secteur de l’immobilier, il est en revanche loin d’être menacé à Strasbourg !

Anne Démians, gagnante du concours concernant les trois tours de 50 mètres préconise d’éviter les « bavardages architecturaux ». Attitude qui justifie selon elle l’ultra-simplification de son projet. Trois volumes présentant une rigidité absolue « dans l’esprit du lieu ». Si seulement le lieu avait un esprit… mais c’est justement ce qu’on tente de lui trouver ! A Strasbourg, pour gagner un concours d’architecture, il n’y a plus qu’un seul argument : produire le projet le moins cher possible au détriment de sa qualité. Cet argument pourrait être recevable si les villes voisines étaient dans le même cas. Mais ailleurs, on a encore une ambition.

Si la Grande-Ile, sa Petite France, ses édifices Renaissance, Néoclassique et Baroque ; si la Neustadt et ses édifices éclectiques, avaient évité les « bavardages » architecturaux, seraient-ils classés ou en voie de classement au patrimoine mondiale de l’UNESCO ? Ces quartiers sont la fierté et l’image de notre ville, justement au travers de leurs « bavardages ». Si les quartiers de la Hafencity à Hambourg, ou de Lyon-Confluence font rayonner ces villes aujourd’hui, c’est justement grâce à ces « bavardages ». Et je crois que la crise a autant lieu à Copenhague, Hambourg ou Lyon qu’à Strasbourg, non ?

Nous préconisons, en tant que géographes, urbanistes, architectes, historiens de l’art, de ne pas se laisser détériorer le paysage urbain de notre ville au profit des promoteurs. La  « Nouvelle Neustadt » voulue par M. le Maire Roland Ries risque de passer à côté de son destin, si on laisse se réaliser des projets sans ambition, particulièrement sur l’axe des Deux Rives et à Malraux, qui est voué à devenir un véritable pôle urbain dans un futur très proche mais qui s’en éloigne clairement.

La démarche de Christian Devillers soutenue par Roland Ries a été très juste et mérite d’être saluée. Seulement, après s’être occupé des volumes, il fallait avoir une ambition pour l’enveloppe et son contenu. Et c’est à ce niveau que le relâchement est évident. Le résultat est banal pour des bâtiments qui seront eux, très présents dans le paysage.

Auteur :
Lionel Heiwy, étudiant en urbanisme, chargé dans l’association des questions d’urbanisme